London Tour

Perchée sur sa colonne dominant la ville de Boulogne, la statue de Napoléon contemple les blanches falaises de Douvres.

-«Comment faire pour franchir le pas?...A la nage?...A la rame?...A la voile?... Les chevaux dans les bateaux comme mon prédécesseur Guillaume le conquérant ? Et si on creusait un tunnel?...On ferait la nique à la redoutable flotte britannique!..»

Deux cents ans plus tard, Gaston, Pierre,Paul, leurs légitimes, et une bande de joyeux touristes investissent le shuttle pour traverser la Manche. A London London ! Trente minutes de somnolence, gentiment bercés dans le double cocon du car et du train, l'oeil fixé sur la fenêtre en bas pour voir avancer cette merveille technique et les bons lurons posent un pied décidé sur le sol de la perfide Albion En Bretagne, la Grande, George Goodyear, guide de son état, les attend d'un pied aussi ferme.

-« Hello!...Had a good trip?...»

Dans la bande à Gaston, on se regarde ébahi : 

"-De quoi y cause, çui-là?....Pas de cam tout de même!...» G. and G.

Jauge tout de suite le niveau de l'assistance et adapte son discours et ses excursions à son public....et aux gouttes de pluie qui dégoulinent des nuages.

-«Umbrellas,please!...»

Ces dames ricanent - «Des ombrelles?...Capuches et galurins...impers et bottes de caoutchouc,oui !» 

- "Allons-y,singing in the rain!» chantonne G. and G.

Mais comprenant que l'entente cordiale est à ce prix, il va continuer en bon français d'cheu nous. -»Il y a trois dates à retenir» dit-il "mil six cent soixante cinq: la peste à Londres, mil six cent soixante six : l'incendie suite à un brasero renversé qui enflamme les maisons en bois et mil six cent soixante quatre....Vous savez pourquoi?...»

Evidemment , Gaston, Pierre,Paul et les autres donnent leur langue au chat.

-"La bière Kronenbourg, voyons !" 

L'assistance est conquise : fou rire général ! On le suivra partout dans les méandres de son esprit tordu. En ce début d'avril, à Hyde Park, les jonquilles dorées frémissent sous la froide ondée ;

« Pauvres daffodils fluttering and dansing inthe breeze !» récite en sautillant G. and G.

-"Pour flotter, ça flotte !" gémissent nos français à qui le froid aux pieds enlève le sens de la poésie. -»Voyez-vous ce lac au milieu,avec son beau jet d'eau?...La coutume est d'y em-mener sa fiancée en canot le dimanche aprés-midi...Arrivés au centre le jeune homme s'agenouille dans la barque, met ses gants beurre frais et dit à la jeune fille : will you mary me ? »
Si elle dit oui, les jeunes gens s'embrassent et reviennent heureux sur la berge. Si elle dit non, il revient tout seul.»

- "Voilà comme on parle aux femmes !" s'esclaffent quelques mauvais plaisants aussitôt rabroués par leurs moitiés scandalisées.

....sauf du mal de la reine,bien sûr.» reprend G. and G.

«Pourquoi sur un escabeau ?»

"Il ne doit pas toucher le sol anglais. Autrefois on procédait ici à un spectacle très couru. L'acteur principal disait ce qu'il voulait sur cet escabeau. Après on donnait un coup de pied dans l'escabeau et le pendu se taisait à jamais." 

-"Quelle horreur!" 

-"Remontons dans le bus et allons voir Picadilly circus" ricane le satanique guide. 
-"Oh oui, tous aux abris ! Assez de ces english hallebardes!" Et l'on continue la visite en car au rythme allègre des essuie-glaces. G.and G. aiguise son piquant humour britannique : devant Westminster Abbey ravalée de frais: 

- "Pourquoi n'y a-t-il pas de véhicules au parking?" Mutisme pour cause d'ignorance dans les rangs.

- "Parce que les habits sacerdotaux!" Trois minutes de silence comme pour les grands disparus, puis éclair de compréhension et déferlement de rire à plein gosier.

Devant l'étincelante Marble Arch : - "Les chevaux du carrosse royal sont passés dessous,mais pas le carrosse en or massif. L'époux de la reine en fut fort marri." La moitié saisirent l'astuce et sourirent finement. Enfin arrive une éclaircie. On va descendre du car et assister à la relève de la garde à Kensington Palace.

-«Où sont les Horse guards et leur bonnet à poil?»

-«Madame, on ne va pas risquer de mouiller des couvre-chefs si chers parce qu'en plumes d'ours. Il faut un ours pour chaque bonnet. Pitié pour ces pauvres bêtes !»

«Il n'y a qu'en Angleterre que les ours ont des plumes !» marmonne la dame entre ses dents. Elle rejoint les autres qui admirent la parade impeccable des soldats en uniforme montés sur des chevaux à magnifiques couvertures rouges.

-«Voyez-vous,nous avons grand soin des animaux .Nous mettons des bouillottes sous leur couverture et ils regagnent leur écurie au bout d'une heure.»

-«Comme c'est délicat de votre part!» dit la dame satisfaite «Les hommes ont-ils droit aux bouillottes eux aussi?»
-«Bien sûr que non» sourit G. and G .«Accomplir leur service pour la reine suffit à leur bonheur!» Après ce bol d'air encore un peu humide, il est temps d'aller se restaurer à la taverne «Old swan». On y boit la «pale ale», mais prévient G. and G.:

-«On ne vient pas en Angleterre pour bien manger, on s'y nourrit pour survivre.»

Nos Français constatent que ce n'est pas une légende.
-«Les petits pois ne sont pas cuits...» gémit l'un. "-Les pommes de terre pas épluchées, la viande archi-bouillie n'a pas plus de goût que du carton!" déplore un autre. - "Leur pain est mou comme de la chique, on ne connaît pas la levure dans ce pays?...» grogne-t-on...

-«Ce que les Français sont râleurs!» conclut G. and G. Nos touristes-grenouilles sautillent entre les flaques d'eau et font la queue pour admirer les joyaux de la couronne à la Tour de Londres. Après avoir bien mariné sous la pluie, ils entrent dans le saint des saints. Là on contemple sur les murs pendant de longues files d'attente le film du couronnement d'Elisabeth 11.

-« Pauvre petite dame en simple robe blanche qu'on accable d'un lourd manteau broché d'or, qu'on munit du sceptre dans une main, du globe dans l'autre, d'un énorme anneau princier au doigt, de la masse sur les genoux et enfin d'une couronne de plusieurs kilos sur la tête!...» s'apitoient les braves gens!...
Puis on entre dans le coffre-fort du royaume pour admirer derrière des vitres des monceaux de métal brut et des tas d'énormes cailloux brillants. Grande puissance que la Grande Bretagne pour avoir accumulé - de quelle façon? - tant de richesse !

George Goodyear reprend dehors son petit monde sous son grand parapluie.

- «Ne vous fiez pas aux apparences! Les souveraines de ce pays sont très résistantes. La reine Victoria est morte à quatre-vingt-deux ans, son cher mari de Saxe-Cobourg et Gotha, lui, est mort à quarante ans ! ...Notre bien-aimée reine Mum vécut cent-deux ans. Elle était très populaire, ayant soutenu le moral de nos vaillants soldats pen-dant le Blitz en mille-neuf-cent-quarante. Les ennemis allemands bombardèrent sa chapelle elle déclara:tant mieux, je verrai ainsi mon peuple en face!»

Son optimisme était inébranlable. Il est vrai qu'elle le soutenait avec constance grâce à une bouteille de Champagne Krug à chaque repas et de nombreux verres alcoolisés au cours de la journée.

Son plus grand plaisir était de faire défiler les carrosses de son enterrement et de dire : j'y ai échappé encore cette année !» Nos touristes français éclatent de rire, ravis de retrouver dans ces hautes sphères des gens si proches de leurs goûts personnels.

- « Si c'est là que réside la force de ce pays, j'adhère tout de suite !» disent-ils en choeur. Tout ragaillardis, ils se précipitent dans la boutique à la sortie du monument historique. Enrhumés mais contents, ils en ressortent les bras chargés de bouteilles de mauvais whisky et de théières en forme de Tour de Londres pour leurs amis et connaissances :

«Tu vois, moi j'ai visité Londres!» Après une traversée de shuttle dans l'autre sens, reposante et sans histoire, Gaston, Pierre,Paul, leurs légitimes et la bande de joyeux lurons s'en retournent à la maison. Du haut de sa colonne, Napoléon les voit passer tous les jours. Une main caressant son estomac entre deux boutons du gilet, un sourire aux lèvres, il se réjouit de cette victoire post mortem.

Grâce à quelques génies qui ont mis en oeuvre son idée lumineuse, des centaines d'imbéciles heureux envahissent journellement cette île réputée imprenable. 

 

Retour à l'accueil