Senor Christo

"Senor ten piedad de nos ostros",...
La plainte monte et lamente au long des pilastes sculptés, atteint les aigus en haut des voûtes, retombe en sourds bourdonnements de souffrance dans les chapelles ombreuses.

"Christo, ten piedad de nes estros",…
Lentement est passé le cortège funèbre au bord du Rio Ter. Le long des maisons ocres, au linge suspendu. Volets clos, figures muettes et figées. La mère suivait le corbillard où cahotait un tout petit cercueil. Celui de son enfant trouvé noyé dans le fleuve. Sous la robe noire, sous le voile noir s'affaissent son corps et son âme de plomb. Elle n'a que trente ans, elle est vieille de deux mille ans.

"Senor Christo,ten piedad",...
L'orgue tonne et vibrent les voix enflammées du tourment de la vie, de la mort. L'assemblée grouille dans la nef sombre et froide comme la nuit. Dehors, le soleil cuit les pierres de la cathédrale...Christo del vita...Christo del morte...Il tend ses bras émaciés sur le crucifix. Sa tête plie, chargée d'épines d'où tombent des gouttes de sang...Santa Maria...Elle aussi est écroulée aux pieds de son fils innocent et torturé. Le visage de Pedro était vert et gonflé. Ses yeux pleins d'épouvante encore écarquillés, sa bouche béait comme cherchant l'air une dernière fois. Il avait quatre ans, lui, pas trente. Il n'avait rien fait, rien voulu, rien accompli. Rien connu des joies de la vie.


« Gloria Dios en los alteruras y en la tierra.... »
La joie, le plaisir jusqu’à l'orgasme. Maria l'a connu sous le ventre de Manuel. Labourée de haut en bas comme une terre ouverte s’offre au soleil, son petit entant qui la tirait par la manche pour qu'elle attrape le cartable sur l'étagère... Pourquoi a-t-il fallut que ce soit lui ?

« Christo te adoramos… Te alabamos… Te bendecimos… »

 

Elle l'a emmené, .comme tous les matins au jardin d’enfanrs, chez les sœurs de la Virgo Maria. Mais le soir, ne le voyant pas rentrer, il a bien fallu alerter les gendarmes. Juan, le père, courait en tous sens, rameutant par la ville les membres de la famille. Maria, ses sœurs, sa mère, ses belles-sœurs se tordaient les mains d’anxiété et emplissaient la maison de bruit et de confusion. On ne voulait pas la laisser seule avec son angoisse. Elle ne pleurait pas, mais tremblait de la tête aux pieds. Dans son visage blanc et figé ne bougaient que les lèvres agitées de soubresauts nerveux. Ses dents claquaient, elle semblait déjà contempler la vision d’horreur qu’on lui présenta au matin. Le visage de son petit vert et gonflé d’eau, les yeux écarquillés d’épouvantes.

« Gloria Senor Dios, Rey celestial … senor Dios coredero de Dos Tu que quitas los pecados del mundo… Ten piedad de nos ostros… «

Manuel venait la retrouver l’après midi quand il savait Juan sur un chantier. Tout dormait dans Gérone écrasé de soleil. Il frappait deux petits coups à la porte, elle courait ouvrir. Elle l’aidait à enlever sa salopette de maçon toute maculée, rien quepour sentir déjà sa peau sous la sienne. Son corps apparaissait brun aux épaules, blanc sur la poitrine et le ventre. Affolées, ses mains parcouraient ce grand corps à elle, offert...Elle pétrissait, elle léchait...Son ventre s'allumait de plus en plus flet elle se jetait sur le pénis durçi...Ils tombaient alors dans un grand puits où l'espace et le temps étaient abolis. Deux bêtes affamées jamais lassés de se repaître l'une de l'autre...jetées pantelantes un moment sur la carpette à reprendre souffle pour mieux se lancer de nouveau à l'assaut.

"Paz a los hombres que ama el Seftor"...
Maria pensait tout et organisait tout pour ce moment fulgurant de plaisir. La vaisselle était lavée, rangée. Le linge repassé la maison luisait de propreté. Elle n'oubliait morne pas le bouquet de lis artistement arrangé 'dans un pique-fleurs. L'odeur douceâtre imprégnait la pièce comme l'encens dans l'église.

 

"Soloteres Santo.Senor tu solo. Jesu Christo...Tu solo Altissimo, Jesu Christo..." On se lève, on s'asseoit. Dans le raclement de chaises et les toussotements de l'assemblée. A travers les vêtements et les voiles de deuil où elle s'ensevelit, Maria sent les yeux de tous ces gens fixés sur elle. Malgré les précautions de Manuel, pour changer d'heure et d'itinéraire, bien des guetteurs ont du surprendre le manège des amants. Elle est punie parce qu'elle a pêchée. Il y a une justice tout de même. Plaisir interdit, plaisir puni. Et maintenant le corps gonflé d'eau de son petit va pourrir dans cette botte en bois sous le drap noir à filets argentés.

Aux quatre coins brûlent d'énormes cierges. Les vitraux colorés en captent la lueur et les fleures des saints semblent frémir de réprobation.
« Creator de cielo y tierra...Padre tierra...Creo en Dios y en Jesu Cristo creo..."

La première fois qu'elle a laissé Pedro à l'école des sœurs, il ne voulait pas la lâcher. Elle a dû s'arracher de lui et s'enfuir en courant. Encore dans la rue résonnaient ses cris perçants. Elle emportait avec elle la vision convulsée de son visage tout tordu de larmes et de désespoir. Cela l'a poursuivie toute la matinée tandis qu'elle s'affairait à ranger ses jouets, à trier ses vêtements de poupon, à faire son lit encore tout chaud de son cops et de son odeur. Pourtant il le fallait...Tant de choses sont dures à faire...


"Fue crucificado,muerto y se pultado...descendio a los infiernos..."

Juan, son mari s'appuie sur l'épaule ferme de son frère aîné Manuel. L'amour fulgurant qui a poussé Manuel vers Maria n'a jamais altéré le sentiment de protection qu'il éprouve pour tout le clan dont il est le chef. Juste un peu plus de silence. Un peu plus de fixité dans ses yeux sombres sur son visage fermé. Deux mondes parallèles qui n'auraient jamais de se rencontrer...qui ne se sont pas rencontrés.

"Creo en el spiritu Santo en la Communion de los Santos y el perdon de los pecados...resurrecion de la carne...y la vida per durable... Amen...Amen...Amen... »

En longue procession, les fidèles comme des fantômes noirs s'approchent de l'autel pour la communion. Ils s'agenouillent sur les marches froides et se retournent vers elle, chancelante aux bras de sa mère et de sa soeur atnée.Il va lui falloir lever le voile et montrer son visage nu à tous. Leurs yeux coulissent vers ses mains tremblantes, chacune à un coin de l'épaisse étoffe. Pourquoi les soeurs ont-elles déclaré que l'enfant était parti seul, ce soir-là?

Maria a dit qu'elle n'avait que quelques minutes de retard...qu'elle attendait la fin de cuisson d'un gâteau qu'elle lui préparait...qu'elle l'avait manqué de peu...qu'il avait dû jouer près du fleuve... Le voile se lève enfin sur le visage blanc et fermé de Marie. Tous les regards fulgurent vers elle. Même le prêtre arrête de psamodier et reste l'hostie en l'air comme si il allait lui refuser le présent de Dieu. Mais l'on a rencontré aussi l'oeil acéré du chef de famille. Les têtes se sont de nouveau baissées, les lèvres se remettent à chuchoter des prières et le prêtre avec un grand soupir bénit l'hostie avant de la déposer sur la langue de Maria. Elle rabaisse aussitôt le voile et se fond dans la masse anonyme des pleureuses de son clan.

"Santo,Santo,Seftor Dios del universo...ille nos estan los cielos y la tierra de tu gloria..."

De nouveau effondrée sur son prie-dieu, les mains liées dans un chapelet de nacre, Maria sous son voile revoit son enfant quand il lui est apparu la dernière fois vivant. Ce n'était pas le matin quand elle l'avait laissé à l'école comme elle l'avait déclaré. Elle n'avait pas vu l'heure passer dans sa frénésie d'amour de l'après midi. Tandis que tapait au-dehors la folie de lumière et de soleil, qu'ils s'étaient bien arrangés un profond puits de silence et de noir, la porte interdite d'entre les deux mondes s'était ouverte sur le petit bonhomme. La rainure de soleil frappa en plein les corps nus et enlacés de sa mère et de son oncle. Sa bouche et ses yeux s'étaient écarquillés de stupéfaction, il avait lâché son petit cartable et il n'arrivait plus à rien faire. Maria avait vite sauté sur ses pieds, tiré l'enfant à l'intérieur. Ils s'étaient rhabillés en hâte. Manuel avait disparu par enchantement et Maria était ressortie peu après avec l'enfant. Ils avaient couru le long du fleuve jusqu'au lavoir abandonné.

- Regarde l'eau, Pedro, plus près, plus près, mon enfant...

Elle avait enfoncé la petite tête avec une force nerveuse dans un état hypnotique. Elle n'avait morne pas oublié de raccrocher le cartable à la menotte. Tel on avait retrouvé le cadavre. La bouche et les yeux écarquillés dans un visage gonflé d'eau. Tel elle le reverrait toute sa vie.

 

Mais déjà en ses entrailles bouge l'enfant de Manuel...ou de Juan... quien sabe ?
Le chœur, où se fond la voix grave de Maria, psalmodie, decmescendo jusqu'au murmure:

"da...nos...la...paz...da...nos...la...paz...da...nos... la...paz... »

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